12 mars 2022 : Par Florian Vivrel Médecin urgentiste : https://resistance-mondiale.com

“Je ne soigne plus les patients, je les gère. Tout cela flanqué de patients agressifs voire insultants – d’emblée ou après plusieurs heures d’attente, ce qui peut aisément se comprendre – ainsi qu’un manque de lits pour les hospitaliser”, déplore ce médecin.

HÔPITAL PUBLIC -Le 8 février 2022, une patiente de 67 ans décède aux urgences du CHU de Nantes, sur un brancard en file d’attente. Ce décès n’est en rien attendu. Au même moment 130 patients sont présents aux urgences, dans un service qui dispose de cinquante salles de soins.

À l’issue de cette journée cauchemardesque, dont le caractère exceptionnel tend jour après jour à disparaître, certains soignants témoignent anonymement:

“La situation est invivable, on ne sait plus où mettre les patients. Personne n’est satisfait de la manière dont le service fonctionne en l’état. On en arrive à hospitaliser des gens aux urgences sur des brancards, car on n’a pas d’autre choix. Si on est tous à nos postes, c’est qu’on fait un métier de passion, mais là, on a l’impression d’être dans la maltraitance ».

Le lendemain, la presse locale alerte sur la durée moyenne de passage aux urgences : treize heures, un délai record. La direction de l’hôpital lance le message suivant: “Ne venez aux urgences que si vous en avez l’ardente nécessité”. Qui peut croire qu’on viendrait aux urgences par choix…

Je suis urgentiste dans ce service depuis dix ans. En 2019, il m’arrivait parfois d’avoir jusqu’à vingt patients simultanément à gérer. Trois années plus tard, j’ai régulièrement trente patients sous ma responsabilité.

Ce samedi 19 février, de 18h à 6h du matin, les soignants des urgences ont pris en charge cent cinq patients, à rajouter à la centaine déjà présente lors de notre prise de poste en début de soirée. Pour s’occuper de ces deux cents patients, nous sommes quatre urgentistes de garde.

Cette garde est particulièrement chargée. Je suis responsable du secteur traumatologie. Nous recevons un blessé par balle, une femme de 30 ans droguée qui a subi une agression (et dont nous plaçons le soir même son fils de 4 ans), une dizaine de jeunes patients accidentés ou blessés, peut-être autant de nonagénaires qui sont tombés, dont la moitié sont atteints de fractures de la hanche, une quinzaine de patients ivres…

Durant cette garde, j’ai géré une cinquantaine de patients, peut-être davantage, je ne sais plus. À ce stade, je ne soigne plus les patients, je les gère. Tout cela flanqué comme à l’accoutumée de patients agressifs, voire insultants – d’emblée ou après plusieurs heures d’attente, ce qui peut aisément se comprendre – ainsi qu’un manque de lits pour les hospitaliser.

L’épuisement de mes collègues

Le manque de lit, on finit par s’y habituer. On laisse les patients dans les couloirs, éclairés par la lumière des néons, dans le bruit incessant des urgences. Les agressions, on s’en détache, on oublie, même si sur le moment, cela nous pèse considérablement.

Le fait inédit lors de cette garde est l’expression concrète de l’épuisement de mes collègues. À 2 heures du matin, un aide-soignant pourtant rompu à sa profession part en pause les larmes aux yeux, jugeant que ce que l’on fait n’a plus aucun sens. Quelques instants après, une infirmière qui cumule vingt-deux ans à l’hôpital dont six aux urgences me dit vouloir être mise en arrêt de travail dès le lendemain et ne plus jamais revenir ni dans le service, ni dans l’hôpital.

Cette nuit du 19 février, les patients ne cessent d’arriver. Lorsque je réalise “une sortie”, il y a “deux entrées” dans le même temps. À quatre heures du matin, cent patients sont toujours présents aux urgences. Il n’y a plus de chambre de libre sur tout l’hôpital. Toutes les salles d’examen sont occupées, les couloirs sont encombrés de patients sur des brancards. Plus de trente patients sont entassés à l’accueil sans pouvoir être installés dans des salles d’examen. Le service est saturé, nous sommes bloqués.

Je réalise alors n’être plus en mesure d’assurer la sécurité des patients. J’appelle le directeur de garde pour l’informer de la situation, du risque de “décès en file”, comme ce fut le cas dix jours plus tôt. Il m’écoute attentivement, et me répond – maladroitement – que ce n’est pas un problème d’effectifs soignants, puisqu’aucun soignant n’est absent à son poste. Courtois, il me souhaite bon courage. Je retourne voir les patients, en comptant les heures jusqu’à la fin de la garde.

Le travail avec la peur quotidienne d’un décès

Il est désormais admis et habituel de ne plus assurer la sécurité des personnes accueillies aux urgences. C’est un fait acté. Nous travaillons désormais avec la peur quotidienne d’un décès pouvant survenir n’importe où – à l’accueil, en file d’attente, en salle d’examen, dans un couloir… – et n’importe quand. Dormez tranquilles, braves gens…

Suite à la diffusion de ce récit, Francis Vuillemet, neurologue à Colmar, m’a adressé un message de soutien:

Entre indignation et résignation, renoncement et abnégation

Au quotidien, les urgentistes sont soumis à un équilibre improbable, mais pourtant permanent entre indignation et résignation, renoncement et abnégation, tentation de démission et réassurance fragile du “c’est pire ailleurs”.

Les urgences demeurent le réceptacle, le goulot d’étranglement pour tout patient à hospitaliser. Nous croyons ces services inébranlables, invincibles, la lumière dans la nuit perpétuellement allumée. Pourtant, à Laval, capitale départementale de la Mayenne, ces dernières semaines les urgences ont fermé faute de personnel. Est-ce là l’avenir des services d’urgences sous-dotés en personnel ? Probablement.

Je ne pensais pas cela possible: l’état des services d’urgences de France, au lendemain d’une pandémie sans précédent, à l’aube d’une concertation politique décisive pour l’avenir de l’hôpital public, est pire qu’en 2019.

Chaque jour, de modestes services d’urgences ferment et les patients sont alors orientés dans les urgences de centres hospitaliers alentour qui explosent. Les brancards des urgences et les précieux lits de médecine aiguë jouent le rôle de l’antichambre des EHPAD, au grand désespoir de soignants usés et démissionnaires.

Si rien ne change, si la même incurie est poursuivie, dans quel état seront les services d’urgences dans trois ans? Dans cinq ans?

Des services qui ferment, des morts sur des brancards, il y en aura d’autres. On ne peut plus faire face…

Colette : Je mets cet article, car il représente l’état de la France aujourd’hui. Désespéré, déboussolé, n’ayant plus d’espoir en l’avenir, fatigué, démoli, résigné, apeuré.

Et je peux vous dire que cet article est véridique. un proche a dû aller aux urgences, il y a 15 jours, entrée 20h, emmené par les pompiers, resté sur un brancard jusqu’au lendemain sortie 19h30, il a vu une infirmière pour les premiers soins, un aide-soignant dans la nuit, car il demandait de l’eau, on lui a dit on n’a pas de verre, ni de broc d’eau, l’aide-soignant est donc parti chercher un petit ramequin en plastique, et il l’a rempli 2 fois au robinet. En début d’après midi on est venu le chercher pour un examen, c’est un médecin (vu son badge de docteur) qui a poussé le chariot, pour aider ses collègues. Et il a revu une infirmière à 15 h et enfin le médecin pour le résultat à 18h30.

Au téléphone il nous a été répondu qu’on ne pouvait pas le mettre dans un lit, il n’y en avait pas, et pas dans une chambre, il n’y en avait pas. L’ambulance l’a ramené chez lui pour avoir les soins à domicile.

C’est catastrophique pour un pays, qui était envié pour son système de santé. Et il ne faut pas attribué ces dysfonctionnements au covid seul, c’est dû à la gestion des hôpitaux par les gouvernants.